Mastafa Amadjar, Directeur de la Communication du Maroc : « La presse doit se redéployer face à la révolution digitale »
Mastafa Amadjar, Directeur de la Communication du Maroc : « La presse doit se redéployer face à la révolution digitale »
Mastafa Amadjar est le
Directeur de la Communication au ministère de la Culture, de la Jeunesse et des
Sports du Maroc. Dans cette interview, il évoque la situation de la presse dans
le royaume chérifien dans un double contexte marqué par la crise sanitaire et
le développement du digital.
Entretien réalisé au Maroc
par Matel BOCOUM
Quel est l’état de la
presse au Maroc ?
Je dirai que
le paysage médiatique marocain est très riche et diversifié. Les procédures de
création d’une entreprise de presse ont été assouplies au Maroc qui privilégie
une politique d’ouverture et qui accorde un grand intérêt à la presse. Sa
Majesté Le Roi Mouhamed 6 l’a manifesté en accompagnant la presse à travers la
promulgation de lois mais aussi de subventions qui leur sont allouées. Avec la
pandémie, la presse a beaucoup souffert comme c’est le cas dans d’autres pays.
L’État est intervenu à travers des mécanismes d’accompagnement.
Ces fonds alloués à la
presse lors de la crise sanitaire ont-ils permis d’amoindrir le
mal ?
Des aides
financières ont été octroyées aux médias, indépendamment de leur ligne
éditoriale. Nous avons d’ailleurs un cadre juridique qui assure la sécurité
réglementaire et qui permet aussi bien à la presse en ligne qu’aux médias
classiques de bénéficier de l’aide publique qui est encadrée par une loi.
Chaque année, il y a un budget de 110 millions de Dirahms affectés à la presse.
Cette année, il a connu une hausse eu égard à la conjoncture liée à la
pandémie. L’État a tenu compte de la chute des ventes pour augmenter les fonds
et garantir ainsi une prise en charge des salaires des journalistes. Sans cela,
la presse marocaine aurait du mal à exercer sa mission. On avait noté une
certaine psychose, des gens ont eu peur d’acheter les journaux avec l’idée
qu’ils pouvaient être des vecteurs de la maladie. La révolution technologique
qui a engendré de réelles mutations a aussi un impact considérable sur les
canaux classiques de distribution de l’information.
Certains craignent que
cette révolution digitale n’entraîne une disparition de la presse dite
traditionnelle. Des mesures d’anticipation ont-elles été prises par le royaume
chérifien ?
Le Maroc a su
prendre des mesures idoines. Le code de la presse a réservé, par exemple, un
texte à la reconnaissance de la presse électronique. Elle est reconnue depuis
2016 par la loi qui régit le secteur de la presse et de l’édition. Cette
reconnaissance tacite de la presse électronique, comme support, est importante.
Après cette reconnaissance, elle a été traduite par des lois qui facilitent
l’accès à la publicité, à l’information à la subvention publique, à la carte
professionnelle à cette presse en ligne. Avant, ce n’était pas le cas. Tout
cela s’inscrit dans le cadre de cette dynamique d’ouverture et de
modernisation. Nous sommes conscients que les supports papiers ont subi les
effets de cette révolution numérique. Il faut un redéploiement de la presse.
Les quotidiens marocains sont en train de créer des versions électroniques pour
assurer cette transition vers la presse électronique. Ce n’est pas facile, car
le mode de consommation est basé sur l’achat en ligne de l’information. Vu
l’explosion des canaux d’informations gratuites, il est important d’impulser la
réflexion pour avoir une presse de qualité.
Il a été constaté, dans
plusieurs pays, que l’avènement de la presse en ligne a entrainé des
dérives…
Le Conseil
national de la presse, qui est un organe régulateur au Maroc, essaie de veiller
au respect des règles de déontologie et d’éthique. C’est un problème sérieux vu
qu’il est difficile de contrôler l’explosion de ces nouveaux canaux
d’information et d’avoir une information de qualité. Au Maroc, nous avons plus
de 1000 sites d’informations reconnus légalement. Ils ne sont pas tous des
médias professionnels et ne se conforment pas toujours aux règles édictées. Un
grand nombre de médias ont été créés par des jeunes qui croient avoir des
compétences pour faire du journalisme. Il y a un impact sur la qualité de
l’information. Or c’est une profession avec ses règles, les nouveaux médias
travaillent dans un secteur difficile à régulariser, mais le Conseil national
composé de représentants de la justice, de professionnels de l’information
veille au respect des règles déontologiques. Il a mis en place une charte pour
encadrer le secteur, mais l’application pose souvent problème, car des
« fake news » sont toujours notés.
Vous dites que le Maroc
compte plus de 1000 sites d’informations. Cela dénote-t-il une vitalité de la
presse marocaine ?
Comme je l’ai
souligné, notre paysage médiatique est très riche. Nous avons, par exemple, une
presse partisane. Depuis les indépendances, chaque parti qui est créé, lance
son organe de presse. Il y a des journaux de partis de gauche, des partis
communistes, partis de droite nationaliste, des journaux indépendants, des
journaux arabophones et une douzaine de journaux édités en français. Nous avons
une presse qui est diversifiée et qui est représentative de toutes les
sensibilités, toutes les tendances, la droite, la bourgeoisie, la gauche…cela
reflète le modèle sociétal de ce pays qui est basé sur l’ouverture, la liberté
d’expression et les paradigmes utilisés par les pays démocratiques.
On peut donc dire qu’au
Maroc, la presse est
un baromètre de l’état de la démocratie et de la société ?
Effectivement,
la presse est un outil qui permet de mesurer l’ancrage de la démocratie dans un
pays. Elle permet relever le débat public, dans tous les aspects et participe à
l’enrichissement de l’expérience démocratique. Au Maroc, nous avons la présence
d’une presse étrangère qui est très dynamique. Il y a plus d’une centaine de
correspondants étrangers qui sont installés chez nous. Dans ce lot, figurent
des agences de presse basées dans le royaume et qui jouent un rôle
avant-gardiste pour la préservation des acquis démocratiques.
On a aussi remarqué que la
presse marocaine s’installe de plus en plus dans les autres pays africains.
Qu’est-ce qui l’explique à votre avis ?
Il faut dire
que cela s’inscrit dans le cadre de la politique africaine du Maroc. Les médias
ont exporté ce modèle de coopération entre le Maroc et les autres pays
africains en tenant compte des changements qui s’opèrent dans ces pays et en
créant des passerelles. Nous envisageons, dans ce sens, de mettre sur pied un
réseau de journalistes africains. C’est un projet sur lequel nous étions en
train de travailler avant l’apparition de la Covid. Nous voulons que des
journalistes du Sénégal, du Maroc, de la Côte d’Ivoire, entre autres, puissent
échanger, créer une synergie d’actions, mais aussi apprendre à mieux connaitre
ce pays. Nous partageons des valeurs avec plusieurs pays africains et nous
allons accentuer les efforts pour rapprocher le Maroc de ses pays amis.
Quelles sont les
perspectives qui s’offrent à la presse selon vous ?
Le journalisme
fait face à de nouveaux défis. Je pense qu’il va falloir se repositionner dans
un espace caractérisé par l’arrivée de nouvelles sources d’information. La
presse, en tant qu’industrie de l’information ne peut pas disparaitre. Je dirai
même qu’il y a un futur pour la presse et un avenir pour les médias classiques.
Ceux qui cherchent l’information sur les tablettes, les smartphones finiront
par revenir à la formule classique.


